Les structures d’accueil de jour, destinées aux adultes en situation d’errance ou de grande vulnérabilité, peuvent être amenées à recevoir des parents accompagnés de leurs jeunes enfants, parfois en bas âge. Si cette démarche est porteuse de sens et d’espoir pour les familles concernées, elle exige néanmoins un cadre rigoureux afin de garantir la sécurité et le bien-être des enfants tout en respectant les objectifs d’accompagnement des adultes. Les contributions de pédopsychiatres reconnus permettent de mieux comprendre les enjeux d’une telle initiative.
Un enjeu humaniste : renforcer le lien familial
Voir des parents en difficulté accompagnés de leurs enfants peut revêtir une dimension profondément humaniste. Pour l’enfant, la présence auprès de son parent dans un espace d’accueil bienveillant peut renforcer le lien affectif et offrir des moments de partage essentiels, même dans un contexte de précarité.
L’enfant comme moteur de progression pour le parent
Selon le pédopsychiatre Donald Winnicott, l’enfant joue un rôle central dans la construction du lien affectif familial. Il agit souvent comme un “miroir” pour le parent, lui rappelant sa responsabilité et sa capacité à répondre aux besoins de son enfant. En ce sens, l’enfant peut devenir un puissant levier de motivation pour le parent, en renforçant son engagement dans un processus de reconstruction.
La résilience et la compréhension progressive des réalités
Pour Boris Cyrulnik, expert en résilience, les enfants confrontés à des contextes difficiles peuvent en sortir renforcés, à condition d’être soutenus dans un cadre protecteur. Le fait de voir un parent faire des efforts pour progresser, même dans des situations complexes, peut nourrir chez l’enfant une compréhension des difficultés et des ressources nécessaires pour les surmonter. Cette approche nécessite cependant que l’enfant soit accompagné pour interpréter ces situations sans en subir de traumatisme.
Les impératifs d’un cadre adapté
Pour permettre aux enfants et aux parents de tirer parti de cette démarche, il est essentiel de créer un cadre strictement encadré, répondant à des exigences à la fois légales, éthiques et psychologiques.
1. Un espace distinct et sécurisé
• Création d’un lieu dédié aux enfants : Les enfants doivent disposer d’un espace spécifiquement conçu pour eux, séparé des zones d’accueil des adultes. Cet espace doit répondre aux normes de sécurité et offrir des activités adaptées à leur âge (jeux, activités éducatives, espaces de détente).
• Cette séparation vise à protéger les enfants des comportements potentiellement imprévisibles des adultes vulnérables ou des discussions sensibles qui pourraient avoir lieu dans les autres espaces.
2. Prévention des traumatismes indirects
• Discussions sensibles en dehors de la présence des enfants : Les échanges entre les professionnels et les parents sur des sujets complexes (addictions, troubles psychiatriques, violences) doivent se dérouler hors de la portée des enfants. Cela préserve leur bien-être émotionnel et leur permet de grandir dans un cadre apaisant.
• Supervision stricte des interactions : Les interactions entre les enfants et les autres adultes accueillis doivent être strictement encadrées par le personnel, pour éviter tout risque ou malaise.
3. Un personnel qualifié et formé
• Des spécialistes de l’enfance : L’encadrement des enfants dans ces structures nécessite la présence de professionnels formés, tels que des éducateurs de jeunes enfants ou des animateurs spécialisés, capables d’organiser des activités adaptées et de détecter les signes de mal-être.
• Formation à la vulnérabilité familiale : Les équipes doivent être formées pour comprendre les dynamiques spécifiques entre des parents en difficulté et leurs enfants, et savoir intervenir avec sensibilité et compétence.
Un cadre juridique et éthique
Bien que les textes de loi actuels n’encadrent pas spécifiquement l’accueil des enfants dans les structures de jour pour adultes, des ajustements peuvent être envisagés pour répondre à cette réalité :
• Code de l’action sociale et des familles (CASF) : Les normes applicables aux structures médico-sociales doivent être adaptées pour intégrer les besoins des enfants.
• Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) : Cette convention impose que toute action impliquant des enfants respecte leur intérêt supérieur. La sécurité physique, psychologique et émotionnelle des enfants doit donc primer en toutes circonstances.
Les structures souhaitant accueillir des enfants doivent également consulter les autorités compétentes (Agence régionale de santé, services de protection de l’enfance) pour obtenir des directives et des autorisations spécifiques.
Un potentiel éducatif et de résilience
L’accueil des enfants dans ces structures peut, lorsqu’il est bien encadré, offrir des opportunités uniques pour les familles :
• Pour l’enfant : En observant les efforts de son parent pour progresser, l’enfant peut développer un sentiment de fierté et une meilleure compréhension des réalités de la vie. Cette expérience, encadrée par des professionnels, peut également renforcer sa résilience face à des contextes difficiles.
• Pour le parent : La présence de l’enfant peut être une source de motivation pour le parent, lui rappelant l’importance de ses démarches et la nécessité de retrouver une stabilité pour sa famille.
• Pour la relation parent-enfant : Partager des moments dans un espace sécurisé et bienveillant peut contribuer à renforcer les liens familiaux, souvent fragilisés dans des situations de grande précarité.
Conclusion : concilier humanisme et professionnalisme
L’accueil de parents avec leurs jeunes enfants dans des structures de jour pour adultes vulnérables est une démarche profondément humaniste, mais elle ne peut être improvisée. Les enseignements des pédopsychiatres tels que Winnicott, Cyrulnik et Dolto rappellent que cet accueil nécessite un cadre rigoureux : espaces distincts, personnel qualifié, et protection absolue des enfants face aux risques de traumatisme.
Avec ces précautions, ces lieux peuvent devenir des espaces de réconciliation et de progression pour les familles, où les enfants trouvent un espace sécurisé et stimulant, et où les parents trouvent la force de poursuivre leur reconstruction. Une démarche qui, bien conduite, peut transformer une fragilité en résilience et une difficulté en opportunité.